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Le plafonnement des indemnités validé par la Cour de cassation, quelles conséquences pour salariés et employeurs ?

Mesure-phare du quinquennat présidentiel, l’ordonnance du 31 août 2017 relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail a limité l’indemnisation des salariés dans la procédure prud’homale si leur licenciement est reconnu sans cause réelle et sérieuse par le juge. (NOR MTRT1724787R).

 

Le 2nd alinéa de l’article L. 1235-3 du Code de travail dans sa rédaction issue de la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018 ratifiant diverses ordonnances prises sur le fondement de la loi n° 2017-1340 du 15 septembre 2017 a fixé l’indemnité minimale et maximale du salarié en fonction de son ancienneté dans l’entreprise, en prévoyant un plafond entre un et vingt mois de salaire brut. Aux termes dudit article, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis. Si l'une ou l'autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés dans le tableau prévu à cet effet.

 

Ladite mesure ayant pour objectif de dissuader les salariés de saisir les prud’hommes, très appréciée par les chefs des entreprises, a partagé les conseils prud’hommaux qui étaient libres jusqu’à présent de fixer les montants de l’indemnisation du salarié en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse. Malgré la validation de la mesure par le Conseil constitutionnel en mars 2018, plusieurs conseils de prud’hommes refusaient d’appliquer le plafonnement depuis plusieurs mois, en accédant aux demandes des salariés qui estimaient que ledit plafonnement était contraire à la Convention n°158 de l’Organisation internationale du travail OIT (article 10) et à la Charte sociale européenne (article 24), violant également le principe du procès équitable prévu par l’article 6 de la CEDH.

 

La Cour de cassation fut saisie pour un avis par le conseil de prud’hommes de Toulouse et de Louviers afin de savoir si les dispositions du droit interne notamment l’article L. 1235-3 du Code du travail instaurant un barème d’indemnisation du licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, sont compatibles avec les engagements internationaux et européens de la France. L’objectif était de mettre fin aux disparités entre les conseils prud’homaux et d’unifier la jurisprudence en la matière. Le fait d’effectuer le contrôle de conventionnalité, autrement dit la conformité de la norme française avec des conventions internationales au travers d’un simple avis au lieu et place dans le cadre d’un recours en cassation, semble être une démarche sans précédent et juridiquement discutable.

 

Par principe instauré par l’article 55 de la Constitution française, les normes du droit international priment sur les dispositions nationales. Or, la primauté d’une norme ne doit pas être confondue avec la notion d’applicabilité directe de celle-ci en droit interne. Pour qu’une norme internationale/ européenne soit applicable directement en droit français, il faut qu’elle remplisse certains critères, notamment elle doit avoir un caractère inconditionnel et précis et pouvoir démontrer l’intention de l’auteur de l’acte et. En outre, la norme ayant « l’effet direct vertical » s’applique aux relations entre les Etats et les justiciables, alors que « l’effet horizontal » d’une norme vise uniquement les rapports entre particuliers. En l’espèce, la Cour de cassation estime qu’« …eu égard à l’importance de la marge d’appréciation laissée aux parties contractantes par les termes précités de la Charte sociale européenne révisée, rapprochés de ceux des parties I et III du même texte, les dispositions de l’article 24 de ladite Charte ne sont pas d’effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers. ». Ceci revient de dire que la Charte ne peut pas être invoquée directement par les salariés devant les juridictions nationales.

 

Ainsi, refusant l’applicabilité directe en droit interne de la Charte sociale européenne, la Cour de cassation écarte cette disposition au profit du droit interne dans son avis du 17 juillet 2019.

 

S’agissant de la conventionnalité de l’article L 1235-3 du code de travail au regard de l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la Cour de cassation estime que les limitations du droit des salariés quant au montant de leur indemnisation en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse « ne constituent pas un obstacle procédural entravant leur accès à la justice, de sorte qu’elles n’entrent pas dans le champ d’application de l’article 6, § 1, précité. ».

 

Qu’y a-t-il avec l’article 10 de la convention 158 de l’OIT, qui impose à l’employeur, en cas de licenciement injustifié non suivi d’une réintégration dans l’entreprise, “le versement d'une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée” ? Est-il applicable directement en droit français ? La Cour de cassation répond « oui » tout en cherchant à définir le terme “adéquat” qui selon elle doit être compris comme « réservant aux Etats parties une marge d’appréciation ».

 

En donnant son avis sur la conventionnalité de la règle interne, la Cour de cassation de cassation semble vouloir préserver les plafonnements prévus par les ordonnances Macron et vouloir sécuriser les entreprises réduisant ainsi les droits des salariés ayant une faible ancienneté.

 

Par conséquent, l’employeur va pouvoir continuer à licencier facilement un travailleur à condition d’avoir trouvé un motif justifié, alors que le salarié avec une faible ancienneté, privé involontairement de son emploi, va hésiter davantage à saisir le juge prud’homal.

 

Cependant, la volonté d’éviter à tout prix la multiplication des contentieux peut avoir un effet inverse puisque le terme « adéquat » ou encore la notion « une réparation appropriée du salarié » sont très floues et vagues, laissant ainsi une marge de manœuvre aux juridictions. De plus, le barème n’est pas applicable en cas de nullité de licenciement, suite à un harcèlement moral ou de discrimination, préservant ainsi le pouvoir d’appréciation des conseillers prud’homaux.

 

Source : Avis de la Cour de cassation du 17 juillet 2019, https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/avis_15/avis_classes_date_239/2019_9218/juillet_2019_9443/15013_17_43210.html

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